Nina Aslova {i\'ve heard there was a secret chord} TERMINEE

« Deux cadavres mutilés ont été retrouvés aux abords du parc Ekateringof, ce mardi 20 novembre. Ce sont des promeneurs qui les ont découverts, gisant nus l’un sur l’autre, ensevelis sous un tas de gravats. Les légistes ont déterminés qu’il s’agissait d’un homme et d’une femme, d’origine européenne, âgés entre vingt et trente-cinq ans. Les experts sont incapables de nous donner plus de détails quant à l’identité des victimes. Aucun papier d’identité n’a été découvert, pour l’instant, pour aider l’enquête à progresser. »

Je suis née ici, à Saint Petersburg, tout près de ce parc dans lequel je suis assise. Je crois que c'est l'un des endroits que je connais le mieux en ville, après le Barat Zliot dans lequel je travaille depuis mes quatorze ans, le marché en ville où je bosse certains week-ends et l'appartement familial. J'aime bien ce parc parce qu’il m’a vue grandir et j’aurais tout donné pour que jamais un crime aussi immonde que celui que je vais commettre ne ternisse l’image qu’il avait dans mon cœur.

Vous savez quelle vie on mène lorsque l’on vit en Russie et que l’on n’a pas de revenus suffisants pour payer un loyer ? Ma mère Sophia nous a élevés presque seule, mon frère aîné et moi, parce que mon père Filip était un peu trop absent pour réaliser notre existence. J’avais quatorze ans lorsque j’ai commencé à travailler pour le Barat Zliot et seize ans quand j’ai tué un homme pour la première fois. Il s’appelait Mihai. Et j’avais été recrutée deux mois plus tôt par Vladimir, mon client le plus fidèle du Barat pour mettre fin aux jours des grands salauds de ce monde. Je croyais que je faisais bien mais c’est qu’à l’époque, je croyais encore en beaucoup de choses, comme l’espoir de m’en sortir et l’argent facile. Le soir où Mihai est mort, étranglé par un de mes bas de soie noir, j’ai gagné 30 000 roubles. Putain. J’ai pu m’offrir une Mercedes, les gars. Mihai était mort mais Vladimir comptait sur moi. Il m’avait engagée comme call-girl parce que j’avais un corps de rêve et une bouille d’angelot. J’accompagnais des hommes en soirée, je me faisais passer pour leur épouse. Mais Mihai méritait la mort, selon Vlad. Alors j’ai écouté mon patron, j’ai accompagné Mihai, j’ai joué la comédie pour lui, je l’ai baisé et je l’ai tué. Pour 30 000 roubles, j’étais prête à tuer tout le personnel de l’hôtel dans lequel je résidais. Ma foi, Vlad m’a trouvée parfaite.

Les Ailes Noires. Une sous-division de la mafia russe. Composée d’autres sous-divisions. Le but étant de se faire des thunes par tous les moyens. Il y avait des putes, il y avait des esclaves, il y avait des camés. Il y avait moi. De call-girl à prostituée des rues, je suis devenue une pute de luxe puis tueuse à gages. J’ai changé d’aile. Vladimir était toujours mon patron, mon « protecteur » et si je n’étais pas amoureuse lui, ô grand jamais, je l’aimais énormément.

Mais pas encore autant que Régina. Régina, l’anglaise. Elle avait trente ans quand j’en avais dix-sept et elle avait épousé un gros russe moche du nom d’Oslav mais ils étaient tous les deux d’accord pour ne jamais être ensembles en public. A mon entrée dans l’aile des tueurs à gages, Vladimir demanda à Régina de me former. Elle m’offrit un flingue que j’ai jeté rapidement dans la Volga avant de prendre un navire pour New York. Régina devint rapidement ma meilleure amie. Elle était très belle, très gentille, elle me couvrait quand je faisais une connerie et elle m’enseignait avec patience et dévotion comment éviter d’en faire de nouvelles. Elle me donnait de l’argent quand j’avais bien fait, elle se donnait pour moi lorsqu’il fallait. Mais elle était traîtresse. Parce qu’elle et Oslav étaient du FBI. Deux putains de traître. Vladimir savait toujours tout et bien sûr, j’étais proche et j’avais l’air naïve alors j’étais la mieux placée pour buter Régina et son mec. Et c’est là qu’Ekateringof entre en jeu.

Je lui donnais rendez-vous. Et j’ai mis un temps fou à tirer sur la gâchette. Jusqu’à réaliser que je n’avais pas de balles. J’avais tellement peur de la tuer, elle qui travaillait pour me sauver, pour me sortir de cette merde, au fond, que je pleurais en tenant l’arme. J’avais des larmes qui brûlaient mes joues, je sanglotais quand elle est tombée sous ma crosse. Je voulais juste l’assommer et simuler sa mort puis l’épargner. Mais, putain, elle était déjà morte. Oslav s’était tiré depuis longtemps. Pas lâche. Juste pas assez assassin pour me buter alors que tout le monde savait bien qu’au fond, je m’étais juste perdue et que je n’avais pas le vice dans le sang.

C’est à la mort de Régina que je l’ai eu, ce vice. Coulant dans mes veines comme du poison, il a rongé tout mon être. J’ai appelé Vlad en larmes juste quand Régina poussait son dernier soupir, je lui ai demandé de venir pour vérifier mon travail. En toute discrétion, il est venu. Il m’a félicité. Puis je l’ai poignardé. Vingt-sept fois. Parce que je bossais pour l’Empire du Crime russe et que le vrai traître, c’était lui.

Deux semaines plus tard, j’ai pris le train pour Moscou. Je suis restée un mois dans la capitale. Puis j’ai pris l’avion pour New York.